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Ottawa n'a jamais testé les scanners corporels des aéroports canadiens avant de les installer

Les scanners corporels des aéroports canadiens n'ont jamais été testés par le gouvernement
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Les responsables de la sûreté des aéroports canadiens obligent maintenant les voyageurs à passer dans des scanners corporels. Or ces appareils, qui n'ont fait l'objet d'aucune évaluation indépendante, sont maintenant liés à des cas bien documentés de migraines et d'au moins une brûlure due aux radiations.

Le gouvernement fédéral se fie aux données fournies par le fabricant L-3 Communications, mais n'a jamais mené ses propres tests. Quant au fabricant, il prétend que ses scanners sont sans risque, et que les gouvernements qui en ont fait l'acquisition ont effectué leurs propres évaluations.

De nombreux voyageurs affirment que le protocole d'utilisation de ces appareils n'a pas été respecté. Des enfants, des femmes enceintes et des malades ont été forcés d'entrer dans les scanners plutôt que de subir les fouilles manuelles. Les agents de sécurité ont omis à plusieurs reprises d'informer les passagers qu'ils pouvaient opter pour l'une ou l'autre de ces options. Et lorsque des passagers ont exprimé des craintes au sujet de leur santé, ils ont été ignorés ou insultés.

Certains formulaires de plainte, que le Huffington Post Canada a pu examiner en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, démontrent que des voyageurs ont subi des effets secondaires après avoir été exposés aux ondes millimétriques.

En février dernier, par exemple, un passager voyageant de Regina à Calgary a dit avoir souffert d'étourdissements : « Aussitôt que je suis entré dans le scanner, je me suis senti malade. J'ai regardé sur ma gauche afin de voir l'agent qui me donnait les instructions, mais le seul fait de bouger ma tête m'étourdissait. En sortant de l'appareil, j'avais la nausée et je pouvais à peine tenir debout. »

À cet effet, nous avons interrogé par courriel Mathieu Larocque, porte-parole de l'Administration canadienne de la sûreté du transport aérien. Celui-ci a répondu que les 56 appareils achetés par le gouvernement conservateur en 2010 sont sans risque. « Comme le mentionne l'avis de Santé Canada publié sur notre site web, les scanners corporels à ondes millimétriques ne posent aucun danger pour la santé humaine, y compris pour les femmes enceintes. »

En vérité, Santé Canada n'a jamais procédé à une évaluation complète des scanners. « Nous ne testons aucun appareil », a affirmé son porte-parole Gary Holub.

Selon M. Holub, Santé Canada n'a fait que réviser les données fournies par le fabricant. Sur le site web de l'agence, on peut lire que « le rayonnement électromagnétique non ionisant émis par ce type de scanner provient d'ondes millimétriques et est inoffensif pour l'humain, même après plusieurs expositions ».

Pour établir la validité des prétentions du fabricant, Santé Canada s'en remet à Industrie Canada. Or Industrie Canada a refusé de nous indiquer si les scanners corporels ont fait l'objet de quelque évaluation que ce soit.

L-3 Communications soutient que ses appareils ProVision n'émettent qu'un millième (0,1 %) des radiations émises par un téléphone cellulaire. Pour en avoir le cœur net, nous avons interrogé le professeur John Sedat, rattaché au Département de biochimie et de biophysique de l'Université de Californie à San Francisco. Ce spécialiste nous a confirmé que ce chiffre n'a jamais été vérifié de manière indépendante.

M. Sedat a acquis une grande expertise avec les scanners à rétrodiffusion de rayons X, utilisés aux États-Unis et posant un risque plus élevé pour la santé. Il affirme se pencher actuellement sur les scanners à ondes millimétriques. « Beaucoup de personnes m'ont appelé récemment pour m'aviser de cas de migraines. En fait, ce ne sont pas que les agents de sécurité qui en souffrent, mais aussi les voyageurs. »

« Un homme m'a envoyé une photo de sa jambe brûlée. Après avoir fait les vérifications auprès de l'aéroport où il a transité, nous avons conclu qu'il a été victime d'un appareil à ondes millimétriques. »

« Ce gars m'a fourni un rapport médical crédible, qui établit que la brûlure a été causée par des radiations. Ce type de brûlure ne s'attrape pas n'importe où », a ajouté M. Sedat. « En principe, les scanners à ondes millimétriques sont sans danger. Mais en réalité, nous n'en savons rien. Quel est leur effet sur les cellules du cerveau ? Que se passe-t-il s'ils émettent aussi des rayons X ? Ces questions demeurent sans réponse. »

Sans surprise, un porte-parole de la firme L-3 Communications a dit n'être au courant d'aucun effet secondaire, et a répété que les gouvernements mènent leurs propres études. « Les gouvernements font des tests en fonction de normes nationales. Chaque pays a ses propres besoins, nos appareils sont donc évalués de manière indépendante. »

Natalia Nikolova, de la Chaire de recherche du Canada en électromagnétique de haute fréquence, doute que les scanners à ondes millimétriques aient véritablement été testés. « Si des tests ont été effectués, leurs résultats n'ont jamais été rendus publics. »

« Les agences gouvernementales ont pour responsabilité de valider les prétentions du fabricant. Or les gouvernements canadien et américain ont la réputation d'être laxistes. Leurs fonctionnaires examinent les documents et se disent "ok, les radiations sont de faible intensité". Mais personne ne prend la peine d'aller dans un laboratoire pour les mesurer. »

« Les ondes millimétriques ne sont pas supposées pénétrer la peau », a ajouté Mme Nikolova. « Mais en fait, tout dépend de leur fréquence. À une fréquence plus élevée, elles peuvent toucher les terminaisons nerveuses et causer de la douleur. Voilà pourquoi les militaires utilisent ce type d'ondes pour développer des outils de contrôle des foules. »

Selon Mme Nikolova, les ondes millimétriques ne sont pas mortelles et n'ont pas d'effet à long terme. La plupart des études qui ont été faites à leur sujet datent de plusieurs décennies, ce qui pourrait expliquer pourquoi les scanners aéroportuaires n'ont jamais été testés.

Quant aux migraines, elles pourraient avoir été causées par un sentiment de claustrophobie à l'intérieur du scanner.

La chercheure affiliée à l'Université McMaster croit tout de même que le gouvernement doit prendre ses responsabilités.

« Des millions de personnes ont déjà passé dans ces scanners, alors je ne crois pas que quelques plaintes soient valables statistiquement. Malgré tout, lorsqu'il est question de santé publique, aucun détail ne devrait être négligé et le gouvernement devrait allouer tous les budgets de recherche nécessaires. »

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